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Au Salon de Joséphine

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Au salon de Joséphine

La musique occupa une place incontournable dans la vie de Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie, plus connue sous le nom

de Joséphine de Beauharnais (1763-1814). La vie musicale qu’elle cultivait au sein de sa famille et à la cour ne suivait pas seulement la mode,

mais influença aussi l’orientation du « goût français ».

Ce programme ouvre une fenêtre sur ce monde musical qui reste aujourd’hui peu connu du grand public.

Joséphine reçut une éducation musicale au couvent à Fort royal en Martinique, suffisante pour lui permettre de faire de la musique

(même si ce n’était que médiocrement). Elle veilla ensuite à ce que ses enfants, Hortense et Eugène, puissent réellement développer

leurs talents musicaux, qui, selon des témoins, étaient considérables. Lors des réunions de famille, ils chantaient et jouaient sur les

nombreux instruments précieux que leur mère possédait, notamment des harpes et des pianofortes de facture française et viennoise.

Hortense y composa même quelques-unes de ses romances.

Épouse de Napoléon Bonaparte, Joséphine contribua grandement à rétablir la vie musicale de la cour.

Au château de Malmaison, sa résidence préférée, elle organisait des concerts hebdomadaires où se produisaient plusieurs des musiciens les plus célèbres de Paris et d’Europe, comme le chanteur Pierre- Jean Garat (1762-1823). Des soirées musicales informelles avaient également lieu presque tous les jours. Outre par ses enfants, ces soirées étaient animées par les membres de son entourage.

Parmi eux figuraient plusieurs dames douées pour la musique, comme Laure Junot, duchesse d’Abrantès, et Aglaé-Louise Ney, ainsi que des femmes que l’impératrice avait prises sous son aile par charité, comme des sœurs Delieu, dont elle avait soutenu financièrement la formation au chant. Si l’on ne sait pas exactement quel répertoire y était joué, on peut toutefois tirer quelques informations des mémoires de

l’entourage de Joséphine et de sa collection musicale conservée au Musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau ainsi

qu’à la Bibliothèque nationale de France. Ces documents soulignent l’absence de rupture majeure avec l’Ancien Régime.

La harpe, l’un des instruments préférés de Marie-Antoinette, restait au cœur du salon. Sur cet enregistrement, Pernelle Marzorati joue une harpe de 1793 fabriquée par la famille Naderman, à la tête de l’une des plus grandes manufactures de harpes de l’époque.

Elle interprète en particulier une pièce du compositeur bohémien Jean-Baptiste Krumpholz (1742-1790), qui travailla avec Naderman pour améliorer la faculté de la harpe de passer rapidement d’une tonalité à l’autre. Ses compositions, populaires auprès de Marie-Antoinette et que l’on retrouve en grande quantité dans la  collection de Joséphine, exploitent ces améliorations afin d’accroître la virtuosité et l’expressivité du répertoire. François-Joseph Naderman développa ces caractéristiques et devint une personnalité incontournable de la cour napoléonienne.

Le pianoforte, l’autre instrument central de la musique de salon, connut également de nombreux développements autour de 1800.

Les facteurs de pianos parisiens, tels qu’Érard, Pleyel ou Freudenthaler, cherchaient à se démarquer les uns des autres en proposant les

instruments les plus innovants, maniables ou à la mode. Le développement des différents registres est particulièrement remarquable.

Non seulement les pianofortes possédaient des registres grave, médian et aigu, chacun présentant un timbre très différent, mais

ils étaient souvent dotés de quatre ou cinq pédales. Le pianoforte Freudenthaler de 1814 joué ici par Aline Zylberajch en possède cinq.

Avec cette possibilité de modifier davantage encore les timbres, les claviéristes pouvaient considérablement enrichir l’expressivité de

l’interprétation. La délicatesse de l’instrument est mise en évidence dans l’Andante d’une sonate de Daniel Steibelt.

Célèbre aujourd’hui pour avoir défié Beethoven en duel au pianoforte en 1800, il était en particulier réputé à l’époque comme compositeur d’opéra et virtuose de son instrument. Ces palettes de timbres offraient également de nombreuses possibilités de dialoguer avec les sonorités différentes d’autres instruments, comme le montre le duo avec harpe d’Ignace Joseph Pleyel (1757-1831).

Cette capacité expressive était également essentielle pour accompagner les pièces vocales. Tout au long des XVIIIe et XIXe siècles,

la romance fut l’un des genres de salon les plus populaires. Bien que son nom fasse référence à un genre espagnol plus ancien et à

des récits chevaleresques, au début du XIXe siècle, il était surtout associé à la notion de sentimentalité.

Un contemporain décrivit le genre comme étant « destiné à rendre des impressions tendres ou mélancoliques, c’est-à- dire à émouvoir par un récit touchant ou par la peinture d’une affection douloureuse ou sentimentale ».

Ainsi, les thèmes de la romance s’élargirent pour inclure ceux de l’amour (souvent non partagé) et de la douleur. Le célébrissime Plaisir d’amour de Jean-Paul-Égide Martini (1741-1816) sur un poème de Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794) illustre parfaitement cette mélancolie.  Il dépeint le contraste entre le court « plaisir d’amour » et le long et profond « chagrin d’amour ». La mélodie charmante et l’accompagnement simple mais efficace qui caractérisent le genre ne requièrent pas d’interprétation passionnée agrémentée d’ornements virtuoses comme à l’opéra. La romance n’exige pas non plus une sonorité soutenue, mais bien une interprétation entre chant et déclamation,

guidée par la prosodie et prenant parfois quelques libertés avec la notation musicale, comme le montre Coline Dutilleul.

La virtuosité de ce répertoire réside dans une diction claire et précise qui permet de faire émerger les sentiments poétiques de manière nuancée et délicate. Avec ces sentiments délicats, la romance pouvait remplir de multiples fonctions. Il s’agissait avant tout d’un divertissement et d’un passe-temps, que l’on écoutait ou que l’on interprétait soi-même. Sa facture musicale relativement simple la rendait accessible à des musiciens de tout niveau. Les plus accomplis pouvaient même s’accompagner eux-mêmes au clavier, à la harpe, à la guitare ou à tout autre instrument harmonique. Le divertissement pouvait aussi provenir de la mise en scène d’un épisode mythologique, épique ou littéraire connu, comme dans La Mort de Werther de Louis-Emmanuel Jadin (1768-1853). La romance était également utilisée

pour inculquer des valeurs morales, comme l’illustre la Romance de Zoé de Charles-Henri Plantade (1764-1839). Dans cette pièce, tirée

de l’opéra-comique éponyme, l’orpheline Zoé se présente comme « une pauvre petite » qui ne laisse pas l’or corrompre sa vertu.

La romance permettait encore de relater des expériences et d’exprimer des sentiments. Dans les romances d’Hortense de Beauharnais, telle L’Orage, on retrouve souvent une thématisation de la nature ou de la guerre avec ses gloires et ses inquiétudes. Cette pièce exploite les possibilités expressives du pianoforte, qui évoque la peur de l’orage dans le prélude.Les soirées et les concerts présentaient fréquemment des extraits d’opéras transcrits dans une version de salon. Avec la construction d’un petit théâtre à Malmaison, Joséphine suivit les traces de Marie-Antoinette, qui avait elle-même participé à la création et à la représentation d’opéras-comiques, dont plusieurs d’André Grétry (1741-1813), l’un des compositeurs français les plus estimés par les deux souveraines.

Cet enregistrement témoigne également de l’engouement des familles Beauharnais et Bonaparte pour la musique italienne.

On y trouve notamment un air d’I zingari in fiera de Giovanni Paisiello (1740-1816), qui fut brièvement embauché comme compositeur de la

cour entre 1802 et 1804. Par l’engagement du chanteur Girolamo Crescentini (1762-1846) comme musicien de la cour et professeur de chant de la famille impériale, le style de chant italien y devint un élément central. Cet engouement pour l’opéra italien influença également

la production d’opéras français. L’un des compositeurs favoris de Napoléon Bonaparte, Étienne-Nicolas Méhul (1763-1817), aurait trompé

le premier consul avec L’Irato, ou l’Emporté, écrit dans le style italien pour masquer sa paternité. Joséphine marqua ce développement de son empreinte, notamment avec son patronage de Gaspare Spontini (1774-1851). C’est grâce à son soutien que La Vestale put être monté en 1807.

Le sacrifice de l’amour et de la vie de la protagoniste pour des questions d’État et d’intérêt national, exprimé avec beaucoup de pathos dans l’air

O nume tutelar, trouva sans doute un écho auprès d’elle. Par ailleurs, la musique passionnée de Spontini toucha une corde sensible plus large, puisqu’il s’agit de l’un des rares opéras de cette époque encore joués aujourd’hui. Ainsi, bien que Joséphine ne fût pas particulièrement connue pour son talent musical, son amour pour cet art laissa une empreinte durable.

Son univers musical, longtemps négligé, peut être redécouvert grâce à cet enregistrement, réalisé avec les instruments et les techniques historiques qui lui rendent toute sa vitalité et ses couleurs.

 

Annelies Andries, musicologue à l'université d'Utrecht​​​​​​​​​​​,m

Notre programme est le fruit d’une recherche initiée à l’invitation de La Nouvelle Athènes, Centre des pianos romantiques, pour le Festival de Pentecôte à l’orangerie du château de Bois-Préau le 28 mai 2023.

Intitulé Au salon de Joséphine, il a été conçu comme un écho des célèbres soirées musicales au château de Malmaison.

Ce sont des affinités électives avec les compositeurs familiers de l’entourage de l’impératrice qui ont guidé nos choix de répertoire, ainsi que le désir de partager des pièces de grande qualité, peu ou pas connues du grand public.

Nous avons souhaité présenter de grandes pages de l’art lyrique transcrites dans une version de chambre où s’expriment les passions les plus vives aux côtés de romances nostalgiques, auxquelles viennent s’enlacer des pièces confiées aux instruments, recréant ainsi la spontanéité d’une soirée musicale dédiée à Joséphine dans son salon : un projet inédit qui propose aux mélomanes une immersion dans un univers musical encore bien peu exploré.

 

Coline Dutilleul, Aline Zylberajch & Pernelle Marzorati

Projet soutenu par le Palazzetto BrU ZAne - centre de musique romantique Française 

" Découvrez l'univers musical des salons de Joséphine "

Il était là ! Coline Dutilleul - Pernelle Marzorati Garat
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La mort de Werther - Coline Dutilleul - Aline ZylberajchJadin
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Monologue de mademoiselle de Saint Yves - Le Huron - Coline Dutilleul - Aline Zylberajch - Pernelle MarzoratiA.M Grétry
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Au Salon de Joséphine - Trailer
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Au Salon de Joséphine - Romance de Monsieur Garat - Il était là
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Au Salon de Joséphine - Romances d'Hortense de Beauharnais - Coline Dutilleul & Aline Zylberajch
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